Les Ingrédients d'une Investigation

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En Bref: Un aperçu des éléments les plus importants d'une investigation: ce qui constitue une bonne preuve, comment élaborer un processus de documentation solide, la valeur de la vérification et la clé pour un départ en sécurité.

Bâtir des preuves solides

Au travers de cet ensemble de ressources, nous utiliserons le sens générique de la preuve: l'information qui est essentielle à l'interrogation, le problème, la personne ou le processus que vous étudiez. Il existe des définitions juridiques de la preuve qui peuvent être beaucoup plus strictes, mais ce sens générique sert à des investigations plus diverses.

La preuve vous fournit la confirmation d'une allégation ou d'une hypothèse. C'est la preuve de quelque chose qui s'est produit, ou de quelque chose qui ne s'est pas produit. L'interprétation et l'attribution d'un sens à l'information que vous recueillez produisent une structure de démonstration. Il est important de garder à l'esprit que tous les éléments de l'information ne sont pas, ou ne peuvent pas devenir, des preuves.

Une investigation est un processus organisé de collecte d'éléments de preuve, qui vise à se rapprocher le plus possible de la vérité. Le passé laisse derrière lui des reliquats: poussière, traces de pas, documents, vidéos, enregistrements audio, témoins, odeurs, paperasses, présence ou absence de quelque chose qui était ou n'était pas là avant. Collecter des preuves, c'est trouver et vérifier ces traces. Bien qu'il soit impossible de recréer un passé, ces traces d'événements, de relations, de transactions ou de lieux peuvent servir à prouver que votre histoire est fondée sur la réalité.

Si vous considérez votre investigation comme un casse-tête, chaque lien ou connexion vous rapproche un peu plus de la vue d'ensemble. Au fur et à mesure que vous emboîtez d'autres morceaux, l'image devient de plus en plus claire. Peu importe la quantité d'informations que vous recueillez, vous avez toujours quelque chose que vous n'aviez pas au départ: un cadre de recherche plus clair, un croquis d'une image ou d'une carte, une nouvelle source d'information ou même le point de départ pour une nouvelle investigation. L'identification des liens entre les éléments de l'information vous rapprochera des réponses que vous cherchez et des preuves qui les prouvent.

Lorsque vous recueillez suffisamment de bonnes preuves, l'information dont vous disposez sera bien étayée et plus près de la vérité. Sinon, toute conclusion à laquelle vous tentez de parvenir sera incomplète au mieux et complètement fausse au pire. Vous voulez des bases solides et inébranlables.

Votre liste de contrôle pour obtenir de bonnes preuves

Toutes les preuves ne sont pas bonnes ou pertinentes. Il y a quelques qualités qui distinguent ce qui est "bon" et utile pour votre investigation. La meilleure façon de vous assurer que vous êtes sur la bonne voie est de tester la solidité, l'exactitude et l'intégrité de vos informations, et de vous poser quelques questions directrices.

  • Les bonnes preuves sont de première main. Avez-vous été témoin de quelque chose vous-même; avez-vous accès aux personnes impliquées ou aux documents officiels à ce sujet ?

  • De bonnes preuves peuvent être documentées et préservés. Êtes-vous en mesure de tracer le chemin qui vous a mené aux preuves, de consigner chaque étape de votre processus de recherche et de l'enregistrer de façon à ce que d'autres investigat⋅rices⋅eurs puissent y accéder plus tard, confirmer son exactitude et lui donner un sens?

  • Un bon élément est situé dans le temps et dans un lieu, créé ou documenté au moment où l'événement s'est produit. Est-ce que beaucoup de temps s'est écoulé et a rendu les preuves moins traçables? Des enregistrements ou des documents ont-ils été perdus? Vous aurez besoin de fouiller dans le passé ou de trouver de nouvelles informations ailleurs.

  • Les éléments probants peuvent être vérifiés. Pouvez-vous et d'autres, vérifier et confirmer que ce que vous avez est réel et exact?

  • Une bonne preuve a des origines qui peuvent être confirmées par une tierce partie, en plus de vous et de votre source. Êtes-vous la ou le seul⋅e à avoir accès à la source de l'information et la ou le seul⋅e à pouvoir dire qu'elle est véritable? Si c'est le cas, cela peut devenir une faiblesse si quelqu'un doit contester votre preuve ou prétendre que vous l'inventez. Cependant, si vous avez affaire à une source vulnérable, la garder secrète peut être votre − et leur − seule option viable.

  • Une bonne preuve contient des informations qui peuvent être confirmées par une tierce partie. Y a-t-il quelqu'un ou quoi que ce soit d'autre qui puisse appuyer vos allégations et vos preuves? Un⋅e expert⋅e, un⋅e autre témoin, une organisation faisant des recherches sur la question, un document officiel. Plus il y en a, mieux c'est.

  • Les bonnes preuves peuvent être partagées avec d'autres personnes. Êtes-vous en mesure de présenter cette preuve en appui de vos arguments et de vos affirmations, ou s'agit-il d'une preuve confidentielle et, par conséquent, ne doit-elle pas rester non-divulguée? Si c'est le cas, vous pourriez avoir besoin de moyens supplémentaires pour prouver aux autres que ce que vous dites est vrai.

  • Une bonne preuve a une filiation de responsabilité documentée et intacte. Avez-vous consigné chaque étape de votre processus de recherche ? Avez-vous sauvegardé tous les résultats avec les détails exacts de la source, les dates, les heures et les lieux où vous avez trouvé l'information? Avez-vous sauvegardé toutes les informations en toute sécurité et veillé à ce qu'elles ne vous aient jamais quitté, à ce qu'elles n'aient jamais été trafiquées et à ce que vous puissiez toujours remonter jusqu'à leur source originale?

  • Les bonnes preuves ne sont pas corrompues et sont conservées à l'abri de toute altération. Pouvez-vous vous assurer qu'aucune personne d'indésirable n'y a accès et ne peut le modifier de quelque façon que ce soit?

  • Une bonne preuve comprend des métadonnées telles que des informations sur son autrice ou auteur, sa localisation et son horaire. Pouvez-vous dire en toute certitude que vous savez qu'une photo ou une vidéo a été prise là où la source prétend qu'elle l'a été, au moment où elle prétend qu'elle a été prise, et qu'elle montre ce qu'elle prétend montrer? Si vous avez recueilli les preuves et enregistré les images vous-même, pouvez-vous prouver leur authenticité en préservant leurs métadonnées? Toute métadonnée perdue peut être une faiblesse pour votre preuve plus tard. Assurez-vous de les garder en sécurité.

  • Une bonne preuve se raccorde à d'autres éléments de preuve puis y relie de l'information. Pouvez-vous établir un lien entre vos éléments de preuve et d'autres renseignements et constatations provenant d'autres sources pour étayer votre argument ou pour créer un récit plus solide au sujet des problèmes sur lesquels vous investiguez?

  • Une bonne preuve vous dirigera là où vos informations sont insuffisantes ou incomplètes. Est-ce que cela ouvre plus de questions, vous montre les lacunes en matière de renseignement et vous montre de nouvelles manières de chercher des données probantes supplémentaires? C'est une bonne chose, cela vous aidera à avoir une meilleure vue d'ensemble de la question et, en fin de compte, à construire un argument plus fort.

  • De bonnes preuves n'exposent pas les sources humaines à des risques que l'investigatrice ou l'investigateur ne peut gérer. Quelqu'un pourrait-il établir un lien direct ou indirect entre votre preuve et une source vulnérable qui, si elle était exposée, pourrait être en danger? Si oui, pouvez-vous réduire ces risques de quelque façon que ce soit pour protéger cette source? Existe-t-il un moyen de trouver d'autres évidences, qui étayeraient votre exposé narratif, mais qui n'expose pas la source potentiellement vulnérable? Si ce n'est pas le cas, vous devrez peut-être reconsidérer l'utilisation de ces preuves et faire passer en premier la sécurité de vos sources et de vous-même.

  • De bonnes preuves peuvent remettre en question vos idées préconçues ou même contredire ce que vous pensiez être vrai. Cela montre-t-il que vos attentes ou vos arguments ne sont pas valables? Est-ce que cela vous fait voir un problème d'un point de vue différent, ou même vous fait changer d'avis sur une question? Avez-vous cru une source, mais vous avez fini par en douter une fois que vous avez analysé d'autres preuves provenant d'autres sources? C'est une bonne chose, et en l'admettant et en l'acceptant, vous devenez une investigatrice, un investigateur, meilleur⋅e, plus impartial⋅e et donc plus digne de confiance.

  • Les bonnes preuves parlent d'eux-mêmes. Pouvez-vous simplement montrer ce que vous avez et être sûr que les personnes comprendront l'information et sa signification? Ou avez-vous encore besoin de construire un tableau plus grand ou un récit pour l'améliorer?

Toutes les preuves que vous découvrirez ne rempliront pas toutes ces conditions. Il faut s'y attendre. Mais certaines des preuves que vous trouverez correspondront à beaucoup d'entre elles − ces pièces du puzzle sont celles que vous voudrez peut-être classer par priorités à traiter.

Sans documentation, ça n'a pas eu lieu

La collecte de preuves, le suivi des pistes, les entrevues, la modélisation, la cartographie, la planification et toutes les réflexions qui forment votre investigation vous seront plus utiles − et plus propices à vos conclusions − si vous documentez votre processus. Cela signifie qu'il faut garder une trace de chaque étape que vous franchissez, de chaque élément des données et des preuves que vous recueillez avec des détails tels que ce que quoi il s'agit, où, quand, pourquoi et comment il a été recueilli, préserver ces données dans leur forme et leurs caractéristiques initiales, et bien plus encore.

L'objectif premier de la documentation est de créer un dossier qui puisse être vérifié concernant votre investigation. Appelons-le "hygiène d'investigation" − le maintien régulier de certaines pratiques pour s'assurer que votre investigation est saine et peut résister à l'examen minutieux et à la critique si quelqu'un essaie de rejeter votre preuve.

Votre dossier est aussi important pour vous qu'il ne l'est pour d'autres. En suivant votre marche à suivre, vous serez plus efficace en tant qu'investigatrice, investigateur, et moins susceptible de faire face à des erreurs ordinaires au début. Au fur et à mesure que vous progressez, la documentation peut vous aider à vous rappeler des conclusions antérieures, comment vous avez obtenu des pistes ou des preuves qui semblaient inutiles avant mais qui semblent maintenant importantes. Vous pourriez aussi retrouver des choses que vous avez oublié de compléter ou des problèmes pour lesquels vous vouliez demander à quelqu'un⋅e de vous aider.

Le fait d'être en mesure d'expliquer avec assurance pourquoi vous avez choisi une source plutôt qu'une autre fait de vous une ressource beaucoup plus précieuse et digne de confiance. Vos habitudes en matière de documentation sont importantes si vous avez l'intention de publier vos conclusions, si vous vous adressez aux autorités légales, si vous poursuivez une affaire devant les tribunaux ou si vous apportez vos preuves aux défens⋅euses⋅eurs des droits humains qui constituent des cas de crime et d'abus. De plus, si des problèmes personnels ou professionnels ou des conditions sociopolitiques changeantes interrompent votre travail, il sera plus facile pour quelqu'un⋅e d'autre de l'interpréter et d'assurer le reste de l'investigation ou d'utiliser les preuves que vous avez pu découvrir. Ces habitudes sont également utiles si vous débouchez sur des collaborations avec d'autres partenaires.

Bien que la documentation soit importante, il y a aussi des facteurs de risque. Vos journaux d'investigation peuvent être utiles à des adversaires potentiels − par exemple, quelqu'un déterminé à vous empêcher de découvrir ses méfaits − si l'information tombe entre de mauvaises mains.

Il est essentiel que vous évaluiez tout risque potentiel au début et au cours de votre investigation. Vous devez prendre votre sécurité et celle de vos sources au sérieux, ainsi que conserver les preuves et la documentation en toute sécurité, en utilisant un stockage chiffré et des dispositifs pour les protéger des accès non désirés.

Assurez-vous de toujours vous informer sur les mesures de sécurité numériques et physiques de base et d'apprendre à utiliser les outils, les compétences, dont vous pourriez avoir besoin pour assurer la sécurité de vos données et les conserver en lieu sûr. Nous aborderons ces questions par aux travers des ressources de ce kit, mais vous pouvez également commencer à consulter d'autres ressources disponibles en ligne, telles que Security in a Box de Tactical Tech ou la Liste de vérification de sécurité. Lorsque vous travaillez dans des situations ou des environnements particulièrement complexes, demandez à des personnes dignes de confiance de vous conseiller ou recherchez des formations en matière de sécurité auxquelles vous pourriez peut-être assister si vous pensez que l'une des investigations que vous menez peut poser le moindre risque.

Conseils pour une documentation minutieuse

  • Prendre des notes d'interview détaillées

Si vous interviewez des sources ou rencontrez d'autres investigatrices, ou investigateurs, prenez toujours des notes. Notez la date, l'heure de début et de fin, le lieu et le nom des participant⋅e⋅s. Notez ce qui a été discuté et si les mêmes personnes décident d'une rencontre de suivi (« La personne X et moi avons décidé de nous reparler au téléphone le jeudi à 14 h »). Vous pouvez prendre des notes à la main ou les taper sur un appareil ou les deux, pourvu que vous soyez en mesure de les garder en sécurité. L'enregistrement audio est aussi un bon moyen de garder une trace des conversations mais en premier lieu vous devez obtenir des autres la permission d'enregistrer. Soyez vigilant⋅e au risque de révéler l'identité des personnes, surtout lorsque vous interrogez et enregistrez des sources vulnérables. La sécurité de chacun devrait toujours être votre priorité absolue.

Les investigatrices et investigateurs utilisent souvent des enregistrements cachés pour aider à révéler des informations importantes, mais nous avons choisi de ne pas les aborder dans les ressources du kit en raison de controverses concernant les limites légales dans certains endroits et, surtout, les risques pour la sécurité qui y sont associés.

  • Gardez une trace des informations de contact

Si vous dressez une liste de personnes-ressources, indiquez non seulement leurs noms et leurs coordonnées, mais aussi la façon dont vous les avez connues, chaque fois que vous avez parlé et un résumé des renseignements qu'elles vous ont fournis. Si vous avez une liste d'entreprises, de numéros de téléphone ou d'adresses électroniques à rechercher, par exemple, assurez-vous de noter l'endroit où vous avez trouvé le nom, le numéro de téléphone ou le courriel de l'entreprise. Si vous disposez d'informations sensibles et de sources vulnérables, car risques il y a, donnez-leur un pseudonyme dans toutes vos notes et documents de travail, en ligne et hors ligne.

  • Enregistrez votre processus

Tenez un registre des démarches d'investigation que vous avez entreprises et de leurs résultats, avec les dates et les détails de chaque outil et technique utilisés pour recueillir des preuves. Par exemple, vous pouvez enregistrer: « Le 3 janvier 2018, ma partenaire d'investigation et moi-même avons capturé des images satellites à l'aide de Google Earth et documenté l'emplacement des chantiers de construction de l'entreprise » ou « Le 14 mars 2018, j'ai essayé d'appeler différents numéros de téléphone publics associés à l'entreprise pour voir si je pouvais obtenir des enregistrements, mais j'ai été transféré sur messagerie vocale ». Au fur et à mesure que vous progressez dans votre recherche, surtout dans le cadre d'investigations à long terme, cela vous aidera à vous souvenir des étapes passées, vous serez en mesure de vous souvenir des tentatives infructueuses de trouver certaines données, ou de certains éléments d'information dont vous disposez déjà, que vous ne voudriez pas reproduire.

  • Dessinez un plan

Au fur et à mesure que vous recueillez de plus en plus d'information, il est utile de créer une ébauche de récit sur ce que vous avez compris jusqu'à présent. Cela vous permettra de consigner les différentes étapes de l'investigation et vous aidera à voir quels renseignements peuvent manquer, s'il y a de nouvelles orientations à prendre en considération, et si certaines informations doivent être vérifiées ou peaufinées. De plus, la création de cartes de visualisation de vos données et de votre processus d'investigation peut vous aider à voir les choses sous une lumière nouvelle ou un nouvel angle.

  • Protégez vos preuves

Vous devriez créer à la fois un registre physique et un registre numérique de toutes les preuves. Inclure les dates, les origines, le lieu de stockage et les renseignements sur la sécurité. Votre journal de bord devrait également comprendre une description de l'état des preuves, des personnes qui les ont recueillis et de celles qui ont interagi avec eux. Gardez tout cela en lieu sûr et de préférence pas tout en au même endroit pour éviter une perte totale ou des dégâts.

Si ce n'est pas vérifié, ce n'est pas valable

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Votre ville a un problème d'égout vieux de dix ans, mais le maire prétend qu'il a une baguette magique qui peut le régler, si seulement vous votez pour lui une nouvelle fois ? Le pays voisin envoie des troupes pour s'emparer de la seule ressource en eau propre qui reste dans la région ? Bien sûr, tout est possible, et il peut même y avoir des données disponibles pour le prouver. Mais si ce n'est pas vérifié, ce n'est pas valable.

La vérification est de plus en plus importante à mesure que la qualité et la fiabilité de l'information disponible aujourd'hui sont remises en question par de multiples facteurs − depuis les créateurs de « fausses nouvelles » et des trolls de désinformation aux utilisat⋅rices⋅eurs mal informé⋅e⋅s des médias sociaux qui diffusent des nouvelles sans vérifier les sources au préalable.

Par exemple, lors des élections kényanes de 2017, de faux tweets qui ressemblaient à des reportages de la BBC ou de CNN ont été diffusés dans le but de déformer le contexte politique. En Inde, la diffusion à grande échelle de fausses informations sur des criminels présumés a entraîné la mort ou le passage à tabac de personnes dans la rue.

Quels que soient les objectifs de votre investigation, il est important d'être en mesure de défendre la manière dont vous avez obtenu l'information que vous présentez comme preuve. S'il est prouvé que quelque chose dans votre investigation n'est pas vrai, cela sape votre recherche et tout récit ou conclusion que vous présentez.

La plupart des techniques d'investigation des ressources de ce kit peuvent être utilisées pour découvrir des preuves et les vérifier.

Il y a différents niveaux de preuves au cours d'une investigation. Quelle que soit la voie que vous suivez, vous essayez toujours de vous rapprocher des preuves de première main grâce à des techniques comme la vérification. Voici quelques exemples de sources d'information qu'il vous faudra peut-être examiner et vérifier tout au long de vos investigations.

  • Le bouche-à-oreille. Un voisin a appris que des membres d'un groupe minoritaire de votre population se voient refuser un service dans une administration locale. Cela ressemble davantage à une rumeur pour l'instant, vous devrez donc vous rapprocher des faits.

  • Déclarations d'experts. Un⋅e cherch⋅euse⋅eur qui a suivi ce genre de déni de service infligé aux minorités vous dit que c'est fréquent. Une déclaration d'expert⋅e est un bon moyen de commencer à valider l'information dont vous disposez, mais vous devez quand même recueillir des informations de première main ou trouver d'autres sources qui le font état du même constat.

  • Rapport de seconde main. Vous parlez à des personnes à qui ce service est refusé. Vous vous rapprochez des faits réels, mais toute expérience et déclaration personnelle doit être vérifiée auprès d'autres témoins ou de la documentation existante, le cas échéant.

  • Documents ou rapports de recherche. Par exemple, un rapport d'une ONG crédible décrit cette situation à partir d'entrevues avec des membres de la communauté directement concernés. Les documents issus de cette recherche vous permettent de faire un pas de plus, mais tout comme les déclarations des experts, vous devez les corroborer par des témoignages ou du moins par une autre source qui fait le même constat.

  • Documents officiels. Un document officiel décrit l'incident de refus de service. Les documents officiels signés et datés sont toujours une preuve très solide, car vous pouvez identifier l'institution et les personnes chargées de documenter l'affaire et effectuer des suites avec plus de questions si cela vous est nécessaire. Attention aux partis pris institutionnels, lorsqu'un service peut vouloir cacher des données plutôt que de révéler la vérité, surtout si elles l'incriminent. Vous avez maintenant une bonne preuve entre les mains, mais certaines déclarations de témoins ou d'experts la rendront plus solide.

  • Photos, vidéo, audio. Il existe un enregistrement montrant la situation qui se produit. Cela peut être un trésor de preuves pour vous. Si les images et le son sont réels, ils peuvent être liés au lieu, à l'heure et aux personnes impliquées dans l'incident. Faites attention aux manipulations d'images et de sons en vérifiant les données et métadonnées EXIF, vérifiez la source, le contenu et ne vous en servez pas comme preuve sans en vérifier l'exactitude auprès des personnes concernées.

  • Des preuves de première main. Vous êtes présent⋅e lorsque la situation se produit et peut-être même parvenez-vous à filmer l'incident. Il s'agit d'une preuve de première main et le plus solide pour votre investigation. Vous avez la possibilité et, en même temps, la responsabilité de documenter minutieusement l'ensemble de l'incident. Vous devez également vous assurer d'établir un contact avec les autres personnes concernées afin de pouvoir confirmer vos observations et vos preuves, au cas où quelqu'un douterait de l'exactitude de votre investigation par la suite.

Quand vérifier

La réponse courte est toujours.

La vérification est un processus itératif. Vous devez le faire encore et encore continuellement. Le processus n'est pas seulement lié à un élément de preuve que vous découvrez, mais aussi à la façon dont tous les éléments s'assemblent.

Toute nouvelle preuve probante que vous trouvez peut jeter un doute raisonnable sur d'anciennes preuves probants que vous avez peut-être déjà vérifiés. C'est pourquoi il est important de documenter vos éléments afin que vous puissiez retracer vos étapes et vérifier encore et encore.

Les défis de la vérification

Bien qu'elle soit au cœur du processus d'investigation, la vérification comporte aussi de nombreux obstacles. Il est utile d'en tenir compte avant même de commencer.

Outre la manière de trouver d'autres sources d'information, vos propres suppositions peuvent être l'un des plus grands défis à surmonter.

Peu importe ce que vous présumez à propos de ce qui s'est passé, les préjugés personnels auront une incidence sur la façon dont vous traitez et vérifiez l'information. Souvent, vous pouvez simplement chercher des sources d'information qui confirment vos partis pris plutôt que d'examiner des aspects qui pourraient contredire vos découvertes.

Vos suppositions sur la crédibilité de vos sources humaines peuvent également empêcher une vérification adéquate si ces suppositions ne sont pas vraies. Il est essentiel de ne rien tenir pour acquis, car même les sources les plus crédibles et les plus fiables peuvent parfois se tromper, même si ce n'est pas intentionnel.

Un autre défi consiste à trouver des moyens créatifs de vérification − être prêt⋅e à utiliser les sources d'information d'une manière qui n'était pas prévue. Par exemple, si vous voulez vérifier si un fonctionnaire se trouvait quelque part malgré ses démentis, vous pouvez non seulement consulter ses comptes de médias sociaux, mais aussi ceux de ses parents et ami⋅e⋅s pour trouver des preuves de messages, commentaires et images qui peuvent confirmer ou infirmer cela.

Comment vérifier

Il est utile de réfléchir d'abord à toutes les questions ou à tous les doutes que vous avez au sujet de l'information que vous avez recueillie, ainsi qu'au sujet de vos propres hypothèses et de la partialité potentielle que vous ou d'autres personnes concernées pouvez avoir.

Que savez-vous avec une certitude à 100%?

  • Si c'est une image, savez-vous qui l'a prise? Quand a-t-elle été prise? Sur quel appareil photo? Dans quel endroit? Comment savez-vous qu'elle n'a pas été modifiée? Quelqu'un pourrait-il essayer de vous emmener sur une fausse piste en vous fournissant cette image?

  • Pouvez-vous vraiment confirmer que les sujets et les événements montrés sur une image sont bien ceux du jour, de l'heure, du lieu et de l'incident en question?

  • Le problème lié à l'événement est-il controversé? Y a-t-il d'autres parties qui ont quelque chose à gagner en diffusant cette information? Il existe des groupes qui diffusent de fausses informations dans l'espoir que quelqu'un puisse leur accorder de l'attention sans vérifier.

La vérification de l'information comporte trois phases principales:

  • Vérification de la source. D'où vous tenez l'information et d'où elle vient.

  • Vérification du contenu. Si cela est exactement ce qu'il prétend être.

  • Vérification de sa pertinence. Si ça correspond à votre investigation.

Dans toute investigation, vous recueillerez des renseignements auprès de nombreuses sources différentes. Certaines seront évidentes, tandis que d'autres seront moins claires. Vous pouvez recevoir un courriel anonyme, une enveloppe de documents, voir une vidéo via les réseaux sociaux ou trouver un document sur un site Web douteux. S'il y a une interrogation sur l'origine de cette information, il est important de vérifier d'où elle provient − si elle provient de la source originelle, si elle provient d'une personne digne de confiance, si elle est exacte ou si elle a été fabriquée ou falsifiée, et s'il y a une quelconque intention cachée de vous l'envoyer.

L'information et les preuves peuvent prendre diverses formes et apparaître sur divers supports. Images, vidéos, sons, témoignages écrits et pages web, ne sont que quelques exemples. Pour chaque support, il existe des outils, des techniques et des astuces qui facilitent le processus de vérification, et vous en trouverez un grand nombre expliqués dans les ressources de ce kit.

Vous n'avez pas besoin d'apprendre tout sur chaque support avant de commencer votre investigation. Il y aura beaucoup à découvrir au fur et à mesure, et vous pourrez aussi apprendre par la pratique. Des guides plus complexes de vérification rédigés par des expert⋅e⋅s par domaine sont également à votre disposition pour vous permettre de vérifier si vous souhaitez aller plus loin (par exemple, le Manuel de Vérification, ou Le Manuel de Journalisme, Fake News et Désinformation de l'UNESCO).

Afin de tester rigoureusement vos preuves et de contrôler vos préjugés, vous pouvez documenter votre processus de recherche et vos résultats et les présenter à d'autres investigatrices, investigateurs, pour confirmer qu'ils font sens pour quelqu'un d'autre.

Toutefois, assurez-vous toujours de faire confiance à celles et ceux avec qui vous partagez des informations à n'importe quelle étape d'une investigation et que vous − et tout collaborat⋅rice⋅eur - êtes au courant des moyens de demeurer en sécurité numérique et physique lorsque vous communiquez et partagez des informations. Chaque sujet abordé au travers de ressources de ce kit contiennent également des mises en garde de sécurité et des conseils utiles pour celles et ceux d'entre vous qui investiguent seul⋅e⋅s ou collaborativement.

Commencez là où vous êtes

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Lorsque vous commencez tout juste à investiguer, il est logique d'aborder le processus à partir du point de départ le plus confortable et le plus sûr.

Si vous êtes un⋅e scout d'Internet qui connaît des tonnes d'astuces de recherche sur les réseaux sociaux ou si vous êtes doué⋅e pour fouiller dans les bases de données et indexer des informations en ligne sur divers sujets, commencez par là.

Si l'espace virtuel n'est pas votre truc, commencez peut-être par observer et documenter ce qui se passe dans le monde physique. Prenez des photos, prenez des notes détaillées sur les événements et les situations, parlez aux personnes et voyez si vous pouvez gagner leur confiance et établir des sources.

Cela ne vaut pas la peine de commencer votre première investigation en expérimentant une manière complètement nouvelle ou qui vous gêne de recueillir de l'information. Commencez par ce que vous savez bien faire.

Grâce à la disponibilité d'appareils numériques et de nombreuses sources d'information sur Internet, il est possible d'effectuer diverses tâches d'une investigation derrière un bureau. Les investigations numériques impliquent souvent principalement des recherches documentaires, mais elles peuvent aussi inclure des recherches élémentaires hors ligne, comme se rendre à la bibliothèque et aux archives, passer des appels téléphoniques ou une combinaison de tous ces éléments.

L'investigation numérique signifie que vous utilisez des outils et des médias numériques pour investiguer. Le sujet de votre investigation peut être numérique, comme une vidéo YouTube, ou analogique, comme les actifs immobiliers d'un⋅e politicien⋅ne.

Les bases de données accessibles sur Internet sont une occasion pour les investigatrices et investigateurs de découvrir de l'information au-delà de la méthode traditionnelle de recherche dans les archives des documents physiques. De plus en plus de données peuvent être collectées, filtrées, connectées et vérifiées à l'aide d'outils numériques. Pourtant, mener une investigation derrière un écran n'est pas aussi sûr et simple qu'il n'y paraît à première vue.

De nombreuses menaces numériques pèsent sur les investigations, en particulier si les personnes faisant l'objet d'une investigation craignent d'être démasquées. C'est pourquoi, même dans le cadre de la recherche numérique, il existe d'importantes mesures de sécurité qu'il faut connaître afin de réduire les risques. Vous les lirez tout au long des ressources de ce kit.

Pour certaines investigations, l'utilisation d'un stylo et de papier est une approche plus appropriée. Une combinaison de techniques traditionnelles et nouvelles d'investigation peut être très efficace.

Souvent, malgré l'abondance de l'information en ligne, il y a des preuves que vous ne pouvez pas trouver avec les ressources numériques. Il se peut qu'il n'y ait pas de données disponibles sur votre sujet dans votre pays. Cependant, vous pouvez souvent trouver plus que ce que espériez en choisissant simplement des méthodes créatives de collecte d'informations.

Par exemple, des ONG financées par des donatrices et donateurs dans le monde entier sont tenues de mener des études préléminaires pour explorer le contexte de leur domaine d'intérêt avant de lancer tout projet. Au cours de ce processus, elles mènent souvent des investigations et recueillent des ensembles de données détaillées qui ne sont jamais publiées.

Vous aurez peut-être besoin de savoir combien d'anciens miliciens sont retournés dans leurs villages d'origine dans votre région, ce qui n'est pas une tâche facile. Mais une organisation fournissant un soutien psychologique à ce groupe spécifique peut disposer de ces chiffres. De même, vous voudrez peut-être savoir comment la contamination d'une rivière a affecté votre population locale, mais il est difficile de recueillir des preuves scientifiques précises à ce sujet. Il y a peut-être une ONG environnementale qui a mené des recherches et des entrevues auprès de celles et ceux qui sont tombé⋅e⋅s malades parce qu'elles et ils ont bu l'eau contaminée.

Dans de nombreux cas, ces informations ne sont pas facilement accessibles au public, en particulier lorsqu'elles sont destinées à servir de données de base à d'autres objectifs. Cependant, si vous demandez et expliquez à l'ONG pourquoi vous avez besoin de ces données, elle est souvent prête à vous les fournir ou à vous aider à faire avancer votre investigation.

Certaines investigations exigent que vous effectuiez votre propre travail sur le terrain pour recueillir des preuves et les vérifier. La recherche sur le terrain signifie que vous identifiez et recueillez l'information de première main et qu'il est de votre responsabilité de la documenter et de confirmer son exactitude. Il peut s'agir d'enregistrer des témoignages, de recueillir des échantillons, d'observer des événements et des lieux ou de se rendre à divers endroits pour parler aux personnes. Ces approches seront également abordées tout au long des ressources de ce kit.

Vous devez également faire preuve de prudence lorsque vous effectuez des recherches sur le terrain. Que vous contactiez des personnes pour savoir si elles peuvent être vos sources, que vous les rencontriez pour recueillir plus d'information ou que vous vous rendiez à un endroit pour examiner des preuves, il est essentiel d'être conscient⋅e des divers risques à chaque étape. Les risques pour votre sécurité personnelle et celle des autres peuvent être élevés. Parfois, vous pouvez réduire ces risques, mais d'autres fois, ils peuvent être insurmontables pour que vous puissiez mener l'investigation.

Savoir quand reconsidérer, quand demander de l'aide, ou quand mettre de côté un projet, si possible, est aussi une attitude saine et un atout à avoir en tant qu'investigatrice et investigateur.


Novembre 2019