Évaluation des Éléments Preuves et des Sources d'Information

Par Mario Rautner

https://cdn.ttc.io/i/fit/1000/0/sm/0/plain/kit.exposingtheinvisible.org/il/Processevidence_main-cik-illustration.png


En Bref : Vous avez identifié et collecté des informations qui peuvent servir d'éléments preuves dans votre investigation. Quelle est la prochaine étape ? Apprenez à les analyser et à les vérifier, ainsi qu'à évaluer vos sources d'information pour être en mesure d'évaluer la fiabilité de vos conclusions.


Les investigations ne sont aussi solides que les éléments de preuves recueillez pour les mener à bien. Sans éléments de preuves à l'appui de votre travail, vos affirmations ou déclarations ont peu de substance et ne convaincront pas votre public. Dans certains cas, vous risquez même des conséquences juridiques si vous n'êtes pas en mesure d'étayer vos affirmations par des éléments preuves solides.

Il est donc important que les investigatrices et investigateurs comprennent le type d'éléments de preuves qu'elles et ils peuvent recueillir, la fiabilité et la solidité des sources auprès desquelles les éléments de preuves sont collectés et le moment où la combinaison d'éléments de preuves est suffisamment solide pour que l'investigation puisse être transformée en une histoire, en rapport, en une procédure, en une campagne ou rendue publique autrement, si tel est votre objectif final.

Développer une hypothèse

Une hypothèse est une supposition ou une explication faite sur la base d'éléments preuves limités, comme point de départ d'une investigation plus approfondie. L'utilisation d'une hypothèse permettra non seulement d'axer votre investigation, et aussi de vous guider dans le choix des éléments de preuves à collecter et aidera à évaluer les informations que vous avez déjà recueillies. Pour plus de clarté, nous pouvons utiliser le terme « hypothèse de travail » car il implique un travail en cours, qui évolue et peut changer en fonction des éléments de preuves que vous trouvez (ou ne trouvez pas).

Dans son ouvrage intitulé "Story-Based Inquiry" (« L'investigation à partir d'histoires : un manuel pour les journalistes d'investigation ») , le professeur Mark Lee Hunter, membre fondateur du Global Investigative Journalism Network (GIJN), affirme que l'utilisation d'hypothèses est au cœur de la méthode d'investigation et que l'élaboration d'une hypothèse vous donne quelque chose à vérifier, ce qui signifie que vous pouvez évaluer vos éléments de preuves par rapport à cette hypothèse. Cela vous aidera ensuite à structurer et à planifier votre investigation. Avec une recherche aussi structurée, vous aurez beaucoup plus de chances d'appliquer des techniques qui vous mèneront à des preuves élémentaires importantes.

Il est également impératif de reconnaître que votre hypothèse de départ n'est pas figée. Elle peut, et doit, changer au fur et à mesure que vous découvrez et interprétez de nouvelles preuves élémentaires. Parfois, une hypothèse de départ peut même sembler irrationnelle, spéculative ou sans fondement, mais au fur et à mesure que vous trouvez de nouveaux éléments de preuves, vous devez être capable de l'ajuster et de l'élargir. Si vous ne le faites pas, vous risquez de tomber dans le piège des théories erronées ou des théories du complot - bien que même les partisan⋅ne⋅s de ces théories soient capables d'étayer leurs hypothèses par une certaine forme de preuves élémentaires ou d'interprétations de celles-ci.


Exemple hypothétique :

Vous avez peut-être reçu une information de source anonyme selon laquelle une tannerie (une usine de traitement du cuir) déverse des déchets toxiques dans une rivière de votre quartier, tuant ainsi les poissons. Tout d'abord, vous vérifiez rapidement quelques faits, notamment les réglementations applicables aux rejets d'effluents et l'emplacement des différentes usines par rapport à la rivière sur une imagerie satellitaire. Vous parlez également à quelques habitant⋅e⋅s et l'un⋅e d'eux rapporte avoir vu récemment des poissons morts dans la rivière. À ce stade, vous ne savez pas s'il y a du vrai dans les informations que vous avez reçues, mais comme un certain nombre d'entreprises sont situées à proximité de la rivière, vous élaborez une première hypothèse :

  • « Quelqu'un rejette illégalement des produits chimiques dans la rivière »

    Cet exemple est utilisé tout au long du guide.

Qu'est-ce qu'une preuve et que faire s'il n'y a pas de preuve ?

L'objectif principal d'une investigatrice, investigateur est de découvrir et de rapporter des faits fiables et vérifiables qui peuvent servir de preuve (proof). Le dictionnaire Larousse définit la preuve ("proof" en englais) comme « élément matériel (exemple document contractuel, attestation) qui démontre, établit, prouve la vérité ou la réalité d'une situation de fait ou de droit ». La preuve peut s'appliquer à des éléments d'indications individuels ainsi qu'à votre hypothèse globale en tant que somme d'éléments certifiants recueillis. Votre objectif sera toujours de rassembler suffisamment d' éléments probant pour vous rapprocher le plus possible de la preuve ou de la réfutation d'une hypothèse. Toutefois, il est important de souligner que les journalistes, les investigatrices, investigateurs citoyen⋅ne⋅s et les autres membres de la société civile qui enquêtent ont des rôles différents dans la société par rapport aux scientifiques ou aux systèmes juridiques. Ce que nous pouvons appeler « approche journalistique » n'est pas la même chose que « approche scientifique » des éléments de preuves et des enquêtes. Si une hypothèse de travail vous guide dans vos efforts d'investigation, votre objectif n'est pas de prouver à tout prix que votre hypothèse est correcte. Votre responsabilité consiste plutôt à garder l'esprit ouvert aux explications alternatives, même si elles ne correspondent pas à vos propres croyances ou convictions.

Si votre objectif est de prouver ou d'infirmer votre hypothèse, n'oubliez pas qu'il est extrêmement rare qu'une investigation fournisse une preuve 100 % effective. Le plus souvent, la collecte de vos éléments probants aboutira à une approximation de la preuve où (après avoir examiné toutes les explications possibles) votre hypothèse est l'explication la plus probable de la façon dont les événements se sont produits.

Il y aura des situations où, malgré tous vos efforts, votre investigation aboutira à une impasse. À ce stade, vous pouvez soit abandonner votre investigation, soit changer d'orientation en ajustant votre hypothèse (même si cela remet en cause vos propres hypothèses), soit publier les informations dont vous disposez de manière transparente, sans faire d'affirmations pour lesquelles vous ne disposez d'aucune preuve élémentaire.

Types des éléments preuves et recherche d'éléments preuves

Une fois que vous aurez adopté une hypothèse de travail, elle vous guidera dans votre investigation et dans la collecte des éléments preuves. Il existe de nombreux types d'éléments preuves que vous pouvez rencontrer au cours de votre investigation. Les éléments de preuve peuvent être directs ou indirects, obtenus par des recherches sur le terrain ou par un travail de bureau, et ils peuvent être physiques ou numériques. La plupart des éléments preuves entrent dans plus d'une de ces catégories. Ces différenciations sont importantes lorsqu'il s'agit d'interpréter vos éléments de preuve et de déterminer leur force et leur fiabilité. Souvent, le type d'éléments preuve est lié au type d'investigations que vous menez. Par exemple, une investigation de terrain tend à produire de éléments de preuves physiques, telles que des échantillons environnementaux, ou des éléments de preuves vidéo et photographiques.

Preuves directes ou indirectes

Les éléments preuves directes vont généralement sans détour à votre hypothèse et établissent des faits. Il s'agit par exemple des éléments de preuves vidéo, audio et photographiques. Les récits de témoins oculaires d'événements, les documents officiels et les enregistrements sont également considérés comme des éléments de preuves directes.

Les éléments de preuves indirectes, quant à eux, sont généralement des éléments probants qui appuient une affirmation, cependant qui ne sont pas suffisamment solides et qui sont pour la plupart de seconde main et donc incapables d'établir des faits au même degré. Il s'agit par exemple de déclarations de personnes qui n'ont pas observé directement les événements, de déclarations de porte-parole représentant⋅e d'autres personnes et, en général, de tout type d'éléments de preuve qui vous oblige à faire des déductions par inférence. Une inférence est une opinion ou une conclusion que vous formulez sur la base d'éléments de preuves qui ne vont pas directement dans le sens de cette conclusion. Nous faisons des déductions tous les jours : par exemple, lorsque vous voyez un colis devant votre porte, vous présumez qu'il vous est destiné sans regarder la preuve directe, l'étiquette sur le paquet. Cette présomption n'est suffisante pour étayer une hypothèse que s'il y a une accumulation d'éléments de preuves indirectes et qu'aucune autre conclusion logique n'est possible. La plupart du temps, lorsque vous rencontrez des éléments de preuves indirectes, il est nécessaire de mener des investigations plus approfondies et de les vérifier auprès d'autres sources lorsque cela est possible.


Exemple :

Il est important de garder à l'esprit que même les éléments preuves directes peuvent ne confirmer qu'un composant spécifique de votre hypothèse et non l'ensemble de l'histoire.

Dans notre exemple de la pollution de l'eau, le rapport d'un laboratoire qui révèle la présence de produits chimiques synthétiques toxiques dans une rivière ne fait qu'établir le fait que la rivière a été polluée. Il ne fournit aucune information sur l'auteur, autrice, de la pollution et ne montre pas nécessairement l'endroit exact de la rivière où la pollution a eu lieu. Des exemples d'éléments preuves indirectes dans cette étude de cas peuvent être l'observation par un témoin oculaire d'une eau colorée différemment ou la découverte de poissons morts. Aucun de ces exemples ne permet d'établir ou de réfuter l'existence d'une pollution dans la rivière puisque la coloration inhabituelle et la mortalité des poissons peuvent être dues à des causes naturelles et qu'un porte-parole de l'entreprise n'est pas en mesure de fournir un élément de preuve directe.

Il est important de garder à l'esprit que ce qui est un élément de preuve indirecte pour une déclaration ou une hypothèse, peut être un élément de preuve directe pour une autre. Si le porte-parole d'une entreprise déclare que « notre entreprise ne rejette pas de produits chimiques toxiques dans la rivière », cela peut être considéré comme un élément de preuve indirecte que l'entreprise ne pollue pas. Il s'agit cependant d'un élément de preuve directe pour établir que l'entreprise nie avoir causé la pollution de la rivière.

Éléments de preuves humaines, ou physiques ou numériques

Les éléments preuves peuvent provenir d'un large éventail de sources que l'on peut classer en grandes catégories :

  • humaine

  • physique

  • numérique

Les éléments preuves de sources humaines peuvent provenir de toute personne largement associée ou touchée par vos investigations, même si ce n'est qu'à la marge. Il peut s'agir, par exemple, de témoins oculaires, de victimes, de fonctionnaires, de scientifiques, de porte-parole, de journalistes ou d'expert⋅e⋅s. En fin de compte, les éléments de preuves numériques et physiques sont toujours liés et influencés à un certain niveau par des éléments de preuves et des sources humaines, car ils sont toujours développés, créés ou analysés par des humain⋅e⋅s. Nous reviendrons sur ce point dans la prochaine section consacrée à l'évaluation des éléments de preuves ; pour l'heure, il convient de garder à l'esprit que les vidéos et les photos sont prises par des personnes, que les échantillons environnementaux sont analysés par des machines et des ordinateurs contrôlés et utilisés par des personnes et que les documents sont rédigés et édités par des personnes. Les personnes sont subjectives et ont des points de vue ou des positions qui peuvent affecter les éléments de preuves qu'elles produisent.

Les éléments de preuves physiques s'appliquent en général aux documents papier, livres, magazines, contrats, factures, échantillons environnementaux, certaines photos et vidéos, etc. Même si notre monde devient de plus en plus numérique, les éléments de preuves physiques sont importants et généralement plus fiables que la plupart de leurs équivalents numériques, car ils ne peuvent pas être manipulés aussi facilement. Comme les mondes numérique et physique s'incorporent de plus en plus, les frontières entre les éléments de preuves physiques et numériques s'estompent également. Il y a seulement vingt ans, les vidéos et les photos auraient été considérées comme des preuves physiques, mais les éléments de preuves photographiques et vidéo récentes sont désormais à proprement parler numériques, car ils proviennent d'appareils photo numériques. C'est l'une des raisons pour lesquelles il est devenu si important d'évaluer l'origine et la solidité des éléments preuves et des sources qui les fournissent. Une tendance similaire se manifeste par exemple avec les documents qui sont de plus en plus souvent livrés sous forme numérique. Il y a quelques années seulement, une requête en liberté d'information pouvait donner lieu à des centaines de pages de documents physiques. Aujourd'hui, il est beaucoup plus probable que la réponse du gouvernement à votre demande comprenne des documents PDF et des enregistrements numériques. À bien des égards, la conversion aux supports numériques et la facilité avec laquelle les informations peuvent être modifiées constituent un défi important pour les investigatrices et investigateurs.

En raison de la confusion de ces frontières et de l'évolution rapide vers la fourniture et le stockage de documents numériques, nous utilisons une définition étroite et quelque peu fluide de la preuve numérique dans le contexte de ce guide. Ici, l'élément de preuve numérique s'applique uniquement aux informations trouvées sur Internet. Cela inclut les articles, rapports et études en ligne, les bases de données numériques, les vidéos et les photos en ligne, et aussi les blogs, les réseaux sociaux et les forums de discussion. Les photos et les vidéos directement issues des appareils photo et dans leur format brut sont considérées ici comme des preuves physiques.

Notez toutefois qu'avec un certain effort, presque toute chose numérique peut être manipulée, y compris les images et les vidéos. Les métadonnées des photos que vous n'avez pas prises vous-même peuvent être très facilement modifiées et ne doivent pas être considérées comme des éléments de preuves, à moins que vous ne puissiez les vérifier et les confirmer à partir de leur(s) source(s) originale(s) et/ou par d'autres moyens tels que des recherches inversées d'images - en utilisant des outils comme :

et/ou, en vérifiant la géolocalisation et l'heure verifying geolocation and time, etc.

Pour des conseils et des astuces supplémentaires sur la façon de vérifier les images, consultez d'autres ressources en ligne telles que :


Deepfakes, videos et photos

L'interface entre les éléments de preuves numériques et physiques ne cesse de se réduire. Cela signifie que les vidéos, les photos et les documents PDF existent à la fois dans le domaine numérique et dans le domaine physique. À proprement parler, ils sont en grande partie numériques mais sont souvent traités comme s'ils étaient physiques. L'augmentation de la puissance de calcul des ordinateurs, de leurs logiciels et de l'intelligence artificielle signifie qu'il devient de plus en plus difficile d'identifier les faux. Prenez par exemple les "deepfakes", une technologie capable de produire des photos et des vidéos générées par ordinateur toutefois extrêmement convaincantes. Bien qu'à l'heure actuelle, il soit moins probable que vous rencontriez de telles fausses preuves dans vos investigations, étant donné que les deepfakes ne sont apparus qu'en 2017 et que leur utilisation se répand rapidement, il est possible que dans un avenir proche, ils puissent être utilisés par des gouvernements, des entreprises ou des individus pour fournir de faux éléments de preuves d'événements qui se sont produits ou non. Il a été avancé que les deepfakes seront capables de « déformer le discours démocratique, de manipuler les élections, d'éroder la confiance dans les institutions, d'affaiblir le journalisme d'exacerber les divisions sociales, de miner la sécurité publique et d'infliger des dommages difficilement réparables à la réputation d'individus éminents, y compris des élu⋅e⋅s et des candidat⋅e⋅s à des fonctions » (source : "Voir, c'est encore croire ? The deepfake challenge to truth in politics", par William A. Galston dans brookings.edu).

Si vous souhaitez en savoir plus sur les deepfakes et le potentiel de certaines technologies émergentes (et en constante amélioration) pour déformer les faits et la réalité, jetez un coup d'œil au Deepfake Lab de Tactial Tech, qui fournit une série d'exemples interactifs multilingues et des explications sur la façon dont tout cela est possible.

https://cdn.ttc.io/i/fit/800/0/sm/0/plain/kit.exposingtheinvisible.org/Process-evidence/Processing-evidence-DeepfakeLab.png Image: Tactical Tech, Deepfake Lab: https://deepfakelab.theglassroom.org/index-fr_FR.html

https://cdn.ttc.io/i/fit/800/0/sm/0/plain/kit.exposingtheinvisible.org/Process-evidence/deepfuture_GRposter_fr.jpg Image: DeepFake Future, poster par Tactical Tech, Glassroom Édition Désinformation: https://www.theglassroom.org/fr/desinformation

Éléments de preuves issus de la recherche documentaire et de la recherche sur le terrain

Il existe de nombreux éléments de preuves que vous pouvez rassembler sans quitter votre domicile. Les éléments preuves issus de recherches sur ordinateur comprennent tout ce que vous pouvez découvrir à l'aide de votre ordinateur, comme des recherches dans des articles scientifiques ou de journaux (researching scientific or newspaper articles), des informations provenant de bases de données, voire des preuves vidéo, audio et photographiques, ainsi que des informations recueillies à partir de cartes numériques géographiques, d'images satellites et de réseaux sociaux. Les éléments de preuves numériques comprennent également tout ce qui vous est envoyé par courrier électronique dans le cadre de requête en liberté d'information ou de conversations en ligne.

Les recherches sur le terrain exigent que vous quittiez votre domicile. Elles peuvent être effectuées par le biais d'une série d'activités telles que des Interviews, la collecte de preuves dans des bibliothèques et des archives ainsi que le prélèvement d'échantillons environnementaux. Les recherches sous couverture ont souvent lieu sur le terrain (bien que certaines techniques d'infiltration, comme l'utilisation d'identités différentes, soient également largement appliquées en ligne).

Exemples de classifications des éléments de preuves

Le tableau ci-dessous présente quelques exemples de différents types d'éléments de preuves et les classe en fonction de leur type (direct, indirect), de leurs sources (humaines, physiques, numériques) et de l'origine du lieu où ils ont été obtenus (bureau, terrain). Comme indiqué précédemment, un même élément preuve peut être direct ou indirect en fonction de votre allégation ou hypothèse. Par conséquent, ce tableau n'est pertinent que dans la trame d'une hypothèse donnée.


Exemple :

Dans notre exemple hypothétique, l'allégation que nous testons ci-dessous est : « L'entreprise X rejette des eaux toxiques dans la rivière. »

Type Source Origine
Exemple d'élément de preuve Direct Indirect Humain⋅e Physique Numérique Bureau / ordinateur Sur le terrain
Un entretien avec un représentant de l'entreprise, enregistré et vu sur Internet, affirmant que l'entreprise ne pollue pas l'eau. X X X X
Photos prises par d'autres personnes de poissons morts dans la rivière. X X X
Une lettre/PDF d'un laboratoire avec les résultats des tests d'échantillons d'eau montrant une toxicité élevée. X X X
Les mesures, de la qualité de l'eau, publiées sur le site web du Conseil ne montrent aucune toxicité élevée de l'eau. X X X X
Déclaration écrite ou enregistrée d'un⋅e scientifique qui interprète les impacts environnementaux du rejet d'effluents. X X X
Une déclaration du ou de la maire dans un communiqué de presse sur la pollution indiquant qu'il, elle ne pense pas qu'il y ait un problème ou qu'il soit causé par une entreprise. X X X X
Un⋅e habitant⋅e vous dit qu'il, elle, a remarqué la mauvaise odeur de l'eau de la rivière près de la société X. X X X
Le PDG admet dans un enregistrement sous couverture que son entreprise rejette depuis des années des eaux non traitées dans la rivière, affirmant que tout le monde le fait. X X X
Les analyses en laboratoire d'échantillons d'eau provenant des effluents du pipeline de la société révèlent des rejets hautement toxiques. X X X

De par la nature même des investigations, il n'est pas facile d'obtenir des éléments preuves directs qui confirment votre hypothèse globale et il est fort probable que vous deviez combiner de nombreuses sources indirectes ou plusieurs hypothèses pour établir la preuve. Si vous prenez chacun des éléments de preuve en soi, ils ne sont pas très significatifs et ne signifient pas que votre hypothèse de pollution de la rivière par la société X est correcte.

Il est important de remettre en question vos éléments de preuves en permanence et de ne pas parvenir à des conclusions qui ne sont pas clairement étayées par vos éléments preuves ou qui ne permettent pas d'autres interprétations logiques.

Analyser les éléments de preuve

https://cdn.ttc.io/i/fit/1000/0/sm/0/plain/kit.exposingtheinvisible.org/il/Processevidence_01-cik-illustration-1.png

Afin de comprendre dans quelle mesure les éléments preuves que vous avez rassemblés peuvent constituer une preuve, il est nécessaire d'analyser leur solidité. Chaque information ou élément de preuve comporte des risques et peut soulever d'autres questions. Par conséquent, la capacité des investigateurs, investigatrices à remettre en question la fiabilité et la solidité des éléments de preuves recueillis devient vitale. Ce scepticisme à l'égard de ses propres opinions et préjugés est une caractéristique fondamentale des investigatrices, investigateurs, honnêtes et justes.

Solidité et exactitude des sources

Lors de l'interprétation des éléments de preuves, il est crucial de comprendre la fiabilité et les motivations de la source de l'information. Cela signifie que le même élément d'information peut être considéré comme fort ou faible selon son origine et le contexte dans lequel il a été fourni. Il appartient à la personne qui investigue d'interpréter l'élément de preuve en tenant compte de son origine et de sa source pour déterminer sa solidité.

Certains éléments de preuve ont déjà fait l'objet d'un processus de révision qui les rend généralement plus solides et plus dignes de confiance.

  • Les articles scientifiques, par exemple, ont généralement fait l'objet d'un examen par les pairs, bien qu'il faille se méfier des prépublications qui ont été publiées avant la fin de l'examen. Il convient également d'accorder une attention particulière aux sources de financement de ces articles, car de nombreuses entreprises commandent des recherches qui peuvent s'avérer favorables à leurs intérêts.

  • Les rapports des organisations de médias considérées respectables, s'ils existent entièrement dans le monde numérique, sont souvent révisés en interne par des vérificat⋅eur⋅rice⋅s de faits. Cela ne signifie pas que vous ne devez pas revérifier leurs sources et leurs données, car leurs informations ne sont pas toujours correctes. Vérifier leur affiliation et leur code de conduite est également un bon moyen d'établir une certaine confiance. Par exemple, les organisations des médias commerciales et à but non lucratif qui font partie de la International Fact Checking Network ou du Global Investigative Journalism Network (GIJN) peuvent avoir mis en place des systèmes qui permettent une plus grande rigueure.

  • Moins un gouvernement est corrompu et plus il est transparent, plus les informations qu'il publie sont dignes de confiance.Cependant, les informations globales des gouvernements nationaux, régionaux et locaux doivent rarement être considérées comme suffisamment solides pour contredire à elles seules votre hypothèse.

Il est bien connu que les humain⋅e⋅s ont souvent tendance à croire ce qu'ils, elles veulent bien croire et -- que nous le voulions ou non -- les investigateurs, investigatrices ne sont pas à l'abri de ce « biais cognitif » .


Note

Même les scientifiques qui essaient d'utiliser des méthodologies reproductibles pour des expériences qui peuvent être répétées afin d'obtenir les mêmes résultats ne sont pas objectifs dans tous les cas. Ce manque potentiel d'objectivité peut influencer le résultat de leurs travaux. L'autrice Angela Saini a écrit que « les scientifiques qui imaginent que les préjugés sont le fait des autres, et non d'eux-mêmes, ne reconnaissent pas que vivre dans le monde d'aujourd'hui, c'est être nourri au goutte-à-goutte d'hypothèses et de préjugés qui guident nos pensées et nos actions. »

Si le biais existe pour les scientifiques, qui appliquent généralement les méthodes les plus objectives à leurs travaux, alors c'est sûrement le cas pour les investigatrices, investigateurs, qui traitent généralement des sujets et qui ne suivent pas une méthodologie scientifique stricte. Il est tout aussi important de comprendre le rôle que les investigateurs eux-mêmes et investigatrices elles-mêmes jouent dans le résultat de leurs enquêtes. Ne pas le faire, c'est prendre le risque d'inclure des informations inexactes, ce qui peut avoir des conséquences juridiques importantes pour la personne qui investigue ainsi que des conséquences personnelles importantes pour les personnes accusées à tort. C'est pourquoi, dans le doute, il vaut mieux présumer que vous n'avez pas assez de preuves pour votre hypothèse.


Biais cognitif

Le biais cognitif est un terme général qui désigne la manière dont notre jugement et notre prise de décision sont influencés par le contexte et le cadrage des informations et par nos croyances personnelles. Les préjugés par biais cognitifs ont été définis pour la première fois dans le cadre de recherches en psychologie dans les années 1970, néanmoins les gens sont conscients de ce phénomène depuis des centaines d'années.

Les préjugés par biais cognitifs peuvent avoir de graves conséquences.

La prise de conscience des biais est particulièrement importante pour les investigatrices et investigateurs citoyen⋅ne⋅s, car elles et ils travaillent souvent seul⋅e⋅s ou en petit groupe, ont souvent un attachement personnel ou émotionnel au résultat de leur enquête et peuvent ne pas disposer des processus de révision qui sont courants dans les organisations professionnelles à but non lucratif et les médias.

  • L'un des biais cognitifs les plus important pour les investigatrices, et investigateurs est le biais de confirmation, selon lequel nous favorisons les idées qui confirment nos croyances et ce que nous pensons savoir. Par conséquent, les gens peuvent privilégier des preuves scientifiques spécifiques ou d'autres données au détriment de preuves contradictoires et parvenir à des conclusions générales conformes à leur parti pris. Les investigatrices, investigateurs et les journalistes ne sont pas à l'abri de ce biais. Une expérience comparant des journalistes et des citoyens en Allemagne a révélé que les journalistes étaient tout aussi sensibles au biais de confirmation.

  • Un autre biais important dont il faut être conscient⋅e est l'influence de la crainte de la perte (sunk-cost effect). Il s'agit d'une tendance à poursuivre une entreprise ou une activité après avoir investi dans celle-ci. Cet investissement peut être monétaire, et il peut également s'agir de temps et d'efforts. Pour les investigatrices et investigateurs, cet effet est considérable, par exemple, si des éléments preuves qui réfutent une hypothèse peuvent facilement être ignorés, surtout s'ils sont découverts après avoir consacré beaucoup d'efforts à l'investigation.

Il existe de nombreuses autres formes de biais cognitifs qui peuvent facilement influencer notre capacité à mener des investigations de manière objective.

  • Le biais de disponibilité : les gens accordent plus de crédit aux solutions et aux informations dont ils se souviennent en premier, qui sont souvent les plus récentes. Il peut s'agir d'une erreur dans les enquêtes, en particulier celles qui s'étendent sur de longues périodes.

  • Le biais d'ancrage : est presque l'opposé du biais de disponibilité. Dans ce cas, les gens sont plus enclins à croirel'information initiale qui sert donc d'ancre à laquelle sont comparées les informations et les éléments preuves futurs.

La bonne nouvelle, c'est que la prise de conscience de ses biais, l'application de méthodes et d'outils spécifiques pour les éviter et la formation peuvent tous réduire la mesure dans laquelle les biais cognitifs affectent notre prise de décision et notre réflexion. Voici quelques-unes des techniques qui permettent de réduire le risque de biais :

  • Demander un deuxième avis sur l'interprétation des preuves à des collègues et à d'autres investigatrices, investigateurs,

  • Revoir sa conclusion après un certain temps, et

  • S'efforcer de réfuter les conclusions et l'interprétation des éléments de preuves.

D'autres techniques peuvent être trouvées en ligne et les scientifiques ont même développé des jeux informatiques comme celui-ci pour aider les gens à prendre de meilleures décisions et à réduire les préjugés (en anglais).

Au cours d'une investigation, vous pouvez parler à différentes personnes au sein d'une entreprise et leur poser des questions similaires.


Exemple :

Dans notre exemple avec la pollution de l'eau, vous pourriez parler à un⋅e réceptionniste, un⋅e porte-parole pur la presse, une ouvrière, un ouvrier et un⋅e agent⋅e de sécurité et demander à chacun d'entre elles et eux si elles ou ils sont au courant de la pollution de l'eau provenant de l'entreprise.

Un⋅e directrice, directeur ou un⋅e porte-parole de l'entreprise est susceptible d'avoir une connaissance détaillée des activités et des plans généraux de l'entreprise, or elle, il a beaucoup à perdre. Elle ou il pourrait donc tenter de vous orienter ou de vous induire en erreur. Un⋅e réceptionniste peut être mal à l'aise face à votre question et ne pas rien savoir sur le sujet. Les agent⋅e⋅s de sécurité et les travailleuses, travailleurs peuvent savoir beaucoup de choses sur ce qui se passe dans l'entreprise, et en revanche risquent de perdre leur emploi pour vous avoir parlé.

Dans la liste ci-dessous, la même affirmation selon laquelle l'entreprise sur laquelle vous investiguez ne pollue pas la rivière a été faite par un certain nombre de sources différentes. Pesons leur poids :

Élément de preuve/déclaration Origine de l' information Solidité de l'élément de preuve
“L'entreprise X ne pollue pas la rivière” Par lettre anonyme que vous avez reçue Faible
“L'entreprise X ne pollue pas la rivière” Interview avec porte-parole de l'entreprise Faible
“L'entreprise X ne pollue pas la rivière” Message Twitter d'un⋅e politique local⋅e Faible
“L'entreprise X ne pollue pas la rivière” Conclusion d'une étude commissionnée par l'entreprise investiguée Moyenne
“L'entreprise X pollue la rivière” Conclusion d'une analyse scientifique indépendante (si vous pouvez vérifier et confirmer son indépendance) Forte
“L'entreprise X ne pollue pas la rivière” Rapport du conseil de collectivité locale avec les chiffres de l'analyse de l'eau de la rivière Moyenne
“L'entreprise X ne pollue pas la rivière” Rapport du comité des entreprises locales Faible
“L'entreprise X ne pollue pas la rivière” Interview avec un⋅e habitant⋅e Faible

Exemple :

Il existe également de nombreux cas où les mêmes sources qui fournissent des éléments preuves faibles pour cette affirmation négative peuvent fournir des éléments de preuves forts pour l'affirmation opposée, positive. Comme le montre le tableau ci-dessous, de nombreux exemples d'éléments de preuves faibles, lorsqu'on affirme qu'il n'y a pas de pollution, deviennent des éléments de preuves forts lorsque les mêmes sources affirment qu'il y a de la pollution, ce qui montre que la force d'une source dépend souvent des éléments de preuves ou des informations qu'elle fournit plutôt que d'être intrinsèquement forte ou faible tout le temps. Par conséquent, il est important de comprendre la motivation d'une source par rapport à des éléments de preuves spécifiques.

Éléments de preuve/déclaration Origine de l'information Solidité de l'élément de preuve
“L'entreprise X pollue la rivière” Par lettre anonyme que vous reçue Faible
“L'entreprise X pollue la rivière” Interview avec le, la porte-parole de l'entreprise (attention aux intérêts/biais éventuels des sources de l'entreprise). Moyenne
“L'entreprise X pollue la rivière” Message via Twitter par une personnalité politique locale Faible
“L'entreprise X pollue la rivière” Conclusion d'une étude commissionnée par l'entreprise Forte
“L'entreprise X pollue la rivière” Conclusion d'une analyse scientifique indépendante Forte
“L'entreprise X pollue la rivière” Rapport du conseil de collectivité locale avec les chiffres de l'analyse de l'eau de la rivière Forte
“L'entreprise X pollue la rivière” Rapport du comité des entreprises locales Moyenne
“L'entreprise X pollue la rivière” Interview d'un⋅e habitant⋅e Faible

Atténuation des risques liés à l'information et vérification des éléments de preuves

Il existe de nombreuses mesures que vous pouvez prendre lorsque vous vous rendez compte que vos éléments de preuves ne sont peut-être pas suffisants pour étayer votre hypothèse. Par exemple, une règle souvent appliquée dans le journalisme exige qu'au moins trois sources indépendantes les unes des autres confirment une même information avant qu'elle ne puisse être publiée.


Exemple :

Utilisons le même type d'éléments preuves que nous avons décrit précédemment et déterminons les risques liés à l'information auxquels une investigatrice, un investigateur peut être confronté⋅e, et ce qui peut être fait pour les réduire.

Exemple d'éléments de preuve Risques pour vos informations / éléments de preuves Actions d'Atténuation
Une interview enregistrée d'un⋅e représentant⋅e de l'entreprise, vue sur Internet, déclarant que l'entreprise ne pollue pas l'eau. Le, la porte-parole peut essayer d'induire en erreur ou de détourner les investigations Analysez attentivement les propos de la personne. Cela laisse-t-il d'autres pistes ouvertes qui ne sont pas explicitement niées dans la déclaration ? Parfois, les porte-parole mentent volontairement ou parce qu'elles, ils ne sont pas mieux informé⋅e⋅s que cela.
Photos de poissons morts dans la rivière À moins que vous ne soyez sûr⋅e de l'endroit et qu'il s'agisse bien de la même rivière, cette preuve n'apporte pas un soutien solide à votre hypothèse Essayez d'identifier l'endroit exact où la photo a été prise afin d'y effectuer d'autres recherches sur le terrain. Est-ce en amont ou en aval de l'entreprise ? À quelle distance se trouve-t-il de l'usine de traitement du cuir ?
Une lettre/PDF d'un laboratoire avec les résultats des tests d'échantillons d'eau montrant une toxicité élevée. Cela montre seulement qu'il y a une pollution dans la rivière, mais n'établit pas de lien avec une entreprise spécifique. Parlez au laboratoire en personne pour bien comprendre les résultats des tests, le lieu et le moment où les échantillons ont été prélevés. Prévoyez d'autres recherches pour voir si la pollution est liée à l'entreprise que vous soupçonnez.
Tests de la qualité de l'eau de la rivière sur le site web du conseil de collectivité locale ne montre aucune toxicité élevée. Les échantillons peuvent avoir été prélevés à un moment différent ou à des endroits qui ne permettraient pas de capter la pollution causée par l'entreprise X. Il ne s'agit que d'un extrait des tests réels. Demandez les tests complets sur quelques années, y compris le moment de l'échantillonnage, les lieux, les substances testées, les laboratoires utilisés, etc.
Déclaration écrite ou enregistrée d'un⋅e scientifique qui interprète les impacts environnementaux du rejet d'effluents. Notez que cela n'établit toujours pas de lien avec l'entreprise. Faites des recherches plus poussées sur le, la scientifique. A-t-il, elle, des liens avec l'industrie ? Quelle est sa réputation ? Faites attention à ce que dit le, la scientifique sur le moment et le lieu des tests. Parlez au scientifique directement et en personne.
La, le maire déclare dans un communiqué de presse sur la pollution qu'elle, il, ne croit pas qu'il y ait un problème ou qu'il soit causé par une entreprise Elle ou i l a un intérêt personnel à faire une telle déclaration car cela pourrait affecter son soutien par les citoyen⋅ne⋅s. Recherchez les liens éventuels entre le, la maire et l'entreprise, comme les contributions à la campagne électorale.
Un⋅e habitant⋅e vous dit qu'il a remarqué la mauvaise odeur de l'eau de la rivière près de la société X Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles l'eau peut sentir mauvais Demandez à l'habitant⋅e de vous montrer l'endroit exact où il, elle a observé cette odeur. Où cela se situe-t-il par rapport à l'usine ? Existe-t-il des conduites d'évacuation en amont de cet endroit et où mènent-elles ?
On vous a remis un enregistrement sous couverture dans lequel le, la PDG admet que son entreprise rejette depuis un an des eaux non traitées dans la rivière, en disant que tout le monde le fait. En cas de publication, le, la PDG pourrait dire qu'il, elle a été trompé⋅e, ou pourrait utiliser des recours et requêtes légales pour vous empêcher d'utiliser l'interview. Montrez le matériel à un⋅e avocat⋅e digne de confiance et demandez-lui conseil sur la meilleure façon de procéder.

Analyser des hypothèses concurrentes

L'un des meilleurs moyens d'exclure au moins une partie de votre partialité et de votre tendance à vouloir soutenir ce que vous croyez est d'essayer de rassembler des éléments de preuves qui réfutent votre hypothèse. Le fait de tester des explications alternatives à votre affirmation tout au long de votre investigation vous aidera à être plus objectif. Un terme technique pour cela est l'Analyse d'Hypothèses Concurrentes (ACH), qui est une technique souvent utilisée par les services de renseignement. Dans ce processus, l'investigatrice, l'investigateur génère d'abord des hypothèses possibles, puis crée une matrice remplie de preuves dont la logique et la cohérence sont ensuite testées. Les hypothèses sont ensuite évaluées et classées.


Note :

La recherche d'explications alternatives est une méthodologie appelée Analyse des hypothèses concurrentes (ACH), développée à l'origine par la CIA dans les années 1970. Cependant, à moins que vous ne travailliez sur des investigations extrêmement complexes, graves et à long terme, la recherche d'interprétations alternatives objectivement correctes de vos éléments preuves en utilisant votre sens de la réflexion est très probablement suffisante.

Si vous souhaitez en savoir plus sur ACH, vous pouvez trouver des logiciels, des blogs et des articles pour commencer vous trouverez, ici en anglais, des logiciels, blogs, et des articles.


Exemple :

Dans notre exemple, deux hypothèses concurrentes peuvent être les suivantes : « L'entreprise X est responsable de la pollution de la rivière » et « La pollution a d'autres causes ».

C = cohérent

I = incohérent

Élément de preuve l'entreprise X pollue Il y a une autre cause à la pollution
Vous avez trouvé une canalisation de la société X à la rivière. C C
Photos de poissons morts dans la rivière C C
Une lettre/PDF d'un laboratoire avec les résultats des tests d'échantillons d'eau montrant une toxicité élevée. C C
Tests de la qualité de l'eau de la rivière sur le site web du conseil de collectivité locale ne montrant aucune toxicité élevée. C C
Déclaration écrite ou enregistrée d'un⋅e scientifique qui interprète les impacts environnementaux du rejet d'effluents. C C
Le, la maire indique dans un communiqué de presse que la pollution peut provenir de n'importe quelle entreprise et que les analyses de l'eau de la rivière ne révèlent pas de taux élevés de toxines. I C
Un⋅e habitant⋅e vous dit qu'il, elle a remarqué la mauvaise odeur de l'eau de la rivière juste en aval de l'entreprise. C C
On vous a remis un enregistrement sous couverture dans lequel le, la PDG admet que son entreprise rejette depuis des années des eaux non traitées dans la rivière, en disant que tout le monde le fait. C I
Des échantillons d'eau de l'effluent provenant de la canalisation montrent des rejets hautement toxiques C I

Exemple :

Cet exemple montre également que même dans le cadre du scénario le plus probable, il est tout à fait possible de trouver des éléments preuves qui ne correspondent pas à votre hypothèse. C'est à vous d'évaluer ces éléments de preuves et de chercher à expliquer pourquoi elles sont incompatibles avec votre hypothèse, comme décrit dans la section précédente.

Il peut y avoir des investigations au cours desquelles vous recueillez des éléments de preuves qui contredisent ou même réfutent votre hypothèse. Il est important d'être objectif, objective, et ouvert⋅e d'esprit lorsque vous analysez vos éléments preuves. Ce n'est pas toujours facile, surtout si vous êtes personnellement investi⋅e dans votre hypothèse.


Conseil :

Il peut souvent être utile de rédiger une version de votre investigation pour vous-même en référençant chaque déclaration et information que vous incluez par des notes de bas de page ou des notes de fin de document. Cela vous permettra de trouver plus rapidement les éléments de preuves pertinents si vous devez les réexaminer et vous permettra également de vous assurer que vous n'incluez pas de déclarations ou de faits pour lesquels vous n'avez aucun élément de preuve.

La seule action éthique et acceptable à entreprendre lorsque vous découvrez des faits et des éléments preuves solides qui contredisent votre hypothèse de travail est d'accepter que votre hypothèse initiale est fausse. Ensuite, soit vous en formulez une nouvelle/alternative capable de rendre compte des nouveaux faits aussi objectivement que possible, soit vous acceptez que votre investigation en cours ne pourra pas prouver ce que vous pensiez et mettez fin à votre enquête. Souvent, cette situation est plus complexe qu'un simple résultat final de type « prouver/infirmer ». Il vaut donc la peine de consacrer un peu de temps à l'évaluation de vos questions initiales et de votre processus d'investigation, y compris votre méthodologie et vos outils, les éléments de preuves que vous avez recueillis et toutes les alternatives possibles que vous pourriez avoir à ce stade.


Exemple :

Dans notre exemple, vous découvrirez peut-être, après avoir discuté avec le conseil municipal, qu'il y a effectivement eu une augmentation de la mortalité des poissons et une coloration différente de l'eau, pourtant leurs analyses montrent que cela est dû à un manque d'oxygène après qu'un gros orage ait rejeté une grande quantité de matières organiques dans la rivière. Vous devrez vérifier cette affirmation en examinant les historiques de données météorologiques ou en consultant des expert⋅e⋅s, par exemple dans une université. Si votre évaluation confirme cette hypothèse, vous pouvez décider de mettre fin à votre investigation.

Gestion des éléments de preuves

https://cdn.ttc.io/i/fit/1000/0/sm/0/plain/kit.exposingtheinvisible.org/il/Processevidence_02-cik-illustration-1.png

Sécurité de l'information

La sécurité de l'information est la pratique consistant à défendre vos informations contre l'accès ou les dommages causés par des tiers indésirables. Cela revêt une importance particulière pour les investigatrices et investigateurs citoyen⋅ne⋅s, les journalistes et les militant⋅e⋅s activistes, qui sont souvent pris⋅e⋅s pour cible par les sujets de leurs investigations. Il y a beaucoup d'écrits sur la manière de protéger les données numériques, y compris les preuves recueillies au cours des enquêtes.

Pour en savoir plus sur ces sujets, commencez par lire :

puis jetez un coup d'œil à des ressources plus détaillées telles que :

Le respect de ces lignes directrices vous permettra de mieux évaluer votre contexte et les risques, de prendre des mesures telles que le chiffrement de vos disques durs et la protection de vos communications, en particulier avec des sources confidentielles. N'oubliez pas que vous devrez également sauvegarder fréquemment et conserver une copie de vos éléments de preuves sur un disque dur ou un dispositif distinct, qui devra bien entendu être protégé et avec chiffrement.

Le chiffrement de vos informations n'est pas seulement important si vous opérez dans des régions politiquement instables ou non démocratiques, c'est quelque chose que tout le monde devrait faire pour protéger la vie privée et la sécurité de ses sources, de elle-même/lui-même et de ses données/éléments de preuves.

Stockage des éléments de preuves

Éléments de preuves numériques

Il est bien sûr facile de stocker des éléments de preuves numériques sur votre ordinateur, pourtant il est important de conserver des copies numériques sur des disques durs distincts, dans un espace différent de celui de votre ordinateur. Tout comme le disque dur interne de votre ordinateur, les disques durs externes doivent être entièrement chiffrés. Si vous vivez dans une région où vos activités d'investigations vous exposent à des risques personnels ou juridiques importants, conservez quelques copies dans un endroit sûr en dehors de votre domicile/bureau. Gardez cependant à l'esprit que vous pouvez faire courir des risques à d'autres personnes en stockant des preuves avec elles.

Physique

La conservation des preuves physiques originales est plus difficile. Conservez une copie physique de tous les documents originaux tels que les lettres et, dans la mesure du possible, scannez les documents physiques pour créer des copies numériques à conserver avec chiffrement sur vos disques durs internes et externes. Les échantillons environnementaux peuvent se dégrader rapidement (en particulier les échantillons d'eau) et ils doivent être traités immédiatement par des laboratoires plutôt que d'être conservés à votre domicile/bureau.

Fiche pur les éléments preuve

Les investigations complexes et longues peuvent donner lieu à la collecte d'une grande quantité d'éléments de preuves et, dans certains cas, vous ne comprendrez la pertinence des éléments de preuves que plus tard dans votre investigation. Par exemple, une image de la rivière polluée avec des coordonnées GPS pourrait devenir plus pertinente après que vous ayez reçu un rapport de laboratoire d'analyse de l'eau qui pointe vers un endroit spécifique. Une bonne façon de gérer vos éléments de preuves est de créer une fiche récapitulative qui vous permet de localiser rapidement les preuves dans votre collection.

Voici un exemple de fiche des éléments de preuves que vous pouvez adapter afin de résumer les informations sur chaque élément de preuve que vous avez collecté.

https://cdn.ttc.io/i/fit/800/0/sm/0/plain/kit.exposingtheinvisible.org/Process-evidence/evidence-sheet.png

  • ID: (Identifiant) Un système de numéro d'identification unique que vous créez pour chaque élément d'information. Par exemple, vous pouvezchoisir "I 0001" s'il s'agit d'une image ou "A 000"1 s'il s'agit d'un fichier audio.

  • Date created: (Date de création) La date à laquelle vous avez pris une vidéo ou une image de l'élément de preuve, ou la date que vous pouvez trouver sur un document, ou la date à laquelle vous avez téléchargé un fichier ou une page sur Internet, ou la date d'un post sur les réseaux sociaux, etc.

  • File name: (Nom du fichier) le nom du fichier s'il s'agit d'élément de preuve numérique.

  • Storage link: (Lien de stockage) Un lien vers l'emplacement du fichier dans la gestion des dossiers sur votre ordinateur.

  • Type: Le type d'élément de preuve, tel que l'audio, l'image, la lettre, le test de laboratoire, la publication sur les réseaux sociaux, etc.

  • Longitude: Si votre élément de preuve est lié à une géolocalisation, vous saisissez sa longitude ici.

  • Latitude: Si votre élément de preuve est lié à une géolocalisation, vous saisissez sa latitude ici.

  • Location: (Lieu) L'emplacement général où l'élément de preuve a été prélevé. Il peut s'agir du nom d'une entreprise, d'un village, d'une bibliothèque, d'une archive ou de tout autre lieu.

  • Source name: le nom de la personne qui a fourni les informations. Il peut s'agir d'une interlocutrice, un interlocuteur, de vous-même si vous avez pris une photo ou du nom d'une agence qui vous a fourni des informations liées à des demandes en liberté d'information, etc.

  • Description: Vous incluez ici un résumé de ce que les éléments de preuves montrent.

  • Notes: Tout autre détail pertinent, par exemple toute préoccupation que vous pourriez avoir quant à l'exactitude ou aux intentions de la source ou d'autres lacunes.

Partager et publier des éléments de preuve

Documenter et partager vos éléments preuves avec des personnes de confiance permet de garantir que les conclusions de votre recherche peuvent être évaluées et prise en connaissance de cause. Les scientifiques adoptent une approche similaire pour leurs recherches et leurs publications : elles, ils publient des informations supplémentaires contenant des ensembles de données plus importants, des calculs et des méthodologies pour étayer leurs conclusions et permettre à d'autres de reproduire et de tester leurs travaux. La documentation et la transparence des méthodes et des sources (sauf si vous êtes impliqué⋅e dans une investigation hautement confidentielle ou risquée) sont des éléments clés qui garantissent la reproductibilité et la fiabilité de votre processus d'investigation.

Voici donc quelques bonnes raisons pour lesquelles vous pourriez envisager de publier les éléments de preuves que vous avez recueillis, traités et vérifiés :

  • C'est dans l'esprit de la transparence et d'une société ouverte, surtout si l'on considère que de nombreuses enquêtes se concentrent sur la découverte de ce qui nous est caché de manière injustifiée.

  • Cela permet de revoir et d'examiner les conclusions auxquelles vous parvenez et peut faire partie d'un processus de révision nécessaire.

  • Cela peut aboutir à la découverte d'informations supplémentaires par des personnes qui peuvent être motivées et inspirées par votre investigation, soit parce qu'elles ont accès à des informations, soit parce qu'elles pourraient être intéressées à investiguer elles-mêmes sur un problème.

Les investigatrices et investigateurs citoyen⋅ne⋅s et les chercheurs et chercheuses indépendant⋅e⋅s n'ont généralement pas accès à des vérificat⋅eur⋅rice⋅s de faits et à des édit⋅eur⋅rice⋅s professionnel⋅le⋅s qui examinent et évaluent la qualité, l'exactitude et les risques juridiques liés aux investigations, comme le font les médias traditionnels ou les réseaux d'investigation établis. Ils, elles ne disposent pas non plus des divers garde-fous et protections dont bénéficient les chercheurs, chercheuses et les journalistes des ONG ou des universités. En collaborant avec des personnes de confiance (ONG, journalistes, chercheuses, chercheurs, etc.) et en veillant à ce que votre travail respecte certaines normes en matière d'éthique, de sécurité, de documentation et de preuve, vous augmentez les chances que d'autres citoyen⋅ne⋅s en investigation, journalistes, parties prenantes, responsables, etc. prennent votre travail au sérieux et y donnent suite. En outre, ces facteurs sont cruciaux si vous avez également l'intention de publier (dans les médias, sur votre blog, dans les réseaux sociaux ou ailleurs) les informations que vous avez recueillies au cours de votre investigation. Pourtant, il y a un certain nombre de considérations à prendre en compte pour décider quels éléments de preuves (le cas échéant) doivent être partagées et publiées, et sous quel format.

Il existe différents niveaux de partage de l'information, allant du partage avec les co-investigat⋅eur⋅rice⋅s, les personnes de votre réseau ou de votre organisation aux journalistes, jusqu'à l'accès du grand public à vos éléments de preuves. Gardez cependant à l'esprit que toute information que vous publiez en ligne (même si elle est protégée par un mot de passe) doit être considérée comme pouvant être découverte et finalement publique, à moins qu'elle ne respecte les meilleures pratiques en matière de chiffrement. Ceci est particulièrement important lorsqu'il s'agit d'examiner des documents fournis par des sources confidentielles ou contenant des informations sur ces dernières -- le partage de tels détails est actuellement loin d'être la norme. Il existe de nombreuses situations et raisons pour lesquelles vous pouvez choisir de ne pas partager les détails de votre investigation au-delà de ses conclusions dans une publication afin de ne pas mettre en danger la sécurité de quiconque, y compris la vôtre.

Traiter avec des sources confidentielles

En règle générale, l'identité des sources confidentielles ne doit jamais être révélée et aucune information ne doit être publiée qui donne des indices sur leur identité. La protection des sources confidentielles est de la plus haute importance en raison des risques personnels, juridiques et parfois physiques auxquels ces sources sont souvent exposées. Il est bon de discuter avec votre source confidentielle de tout ce que vous envisagez de publier en rapport avec elle et les informations qu'elle vous a fournies. Pour plus de détails sur la façon de traiter les sources, y compris la communication, la sécurité et les bonnes pratiques générales, veuillez lire nos guides sur les Interviews et la gestion des sources. En outre, pour des recommandations pratiques sur les méthodes et les outils permettant d'évaluer les risques, de sécuriser vos données et de gérer vos communications tout au long de vos enquêtes, veuillez lire ce guide d'introduction intitulé La sécurité avant tout !

Utilisation de renseignements commerciaux

Il peut arriver que vous achetiez des données auprès de fournisseurs commerciaux tels que des registres d'entreprises, des registres du commerce ou des registres fonciers. Dans la plupart des cas, les fournisseurs vous interdiront de republier leurs données et informations. S'il est bon d'éviter les risques juridiques en ne republiant pas les éléments de preuve achetés lorsque de telles restrictions existent, il n'y a normalement pas de problème à faire référence à ces éléments et à en citer des extraits clés. Cela relève généralement de la règle de l'« usage acceptable » pour les documents protégés par le droit d'auteur. Cependant, la plupart des pays ont leurs propres lois sur le droit d'auteur qui régissent ce point et les investigatrices, investigateurs doivent se familiariser avec la législation des pays dans lesquels elles et ils travaillent. Il est plus que probable que vous trouverez en ligne des informations fiables et dignes de confiance sur le droit d'auteur et l'utilisation équitable dans votre pays.


Astuce :

Un point de départ est le Fair Use/Fair Dealing Handbook (Manuel d'utilisation équitable) (en anglais) qui fournit un aperçu des réglementations dans plus de 40 pays. Toutefois, la dernière version du manuel date de 2015 et, comme la numérisation de l'information entraîne des changements rapides dans ce domaine, il se peut que, dans de nombreux cas, il ne comprenne pas les lois et réglementations disponibles les plus significatives. Il est important que les citoyen⋅ne⋅s qui investiguent effectuent leurs propres recherches actualisées sur cette question.

Formats de publication

Lorsque vous publiez des informations, il est important de veiller à le faire dans des formats facilement accessibles aux autres. Si le format PDF (portable document format) se prête bien à la publication d'informations textuelles et constitue également un bon moyen de supprimer les metadonnées lors de la publication d'images et d'identifiants intégrés dans des documents basés sur Microsoft Office par exemple, il n'est généralement pas très utile pour la publication de données issues de feuilles de calcul. Pour que les données puissent être facilement explorées par d'autres personnes si vous avez l'intention de les rendre publiques, les feuilles de calcul doivent être publiées dans des formats plus accessibles. Le format CSV (valeurs séparées par des virgules), par exemple, est utile, car il peut être importé dans la plupart des tableurs et permet à d'autres de reproduire certaines de vos analyses ou d'utiliser les données pour répondre à d'autres questions éventuelles.

En fin de compte, votre capacité à évaluer, traiter et gérer les éléments de preuves que vous avez recueillies influencera considérablement le résultat, la fiabilité et l'impact de vos investigations.


Remerciements :

Merci à Yung Au, Nuria Tesón, Xavier Coadic pour avoir révisé et fourni des commentaires constructifs à ce guide.


Publié en Décembre 2020

Ressources

Articles et Guides (en anglais)

Glossaire

term-cogbias

Biais cognitif - Une erreur systématique de raisonnement qui se produit lorsque les gens traitent et interprètent des informations dans le monde qui les entoure et qui affecte les décisions et les jugements qu'ils, elles prennent (cf. https://www.verywellmind.com/about-us.)

term-deskresearch

Recherche assistée par ordinateur - Recherche effectuée au domicile ou sur le lieu de travail des investigatrices, et investigateurs. Il s'agit par exemple de recherches sur ordinateur et sur Internet, ainsi que d'entretiens à distance.

term-evidence

Élément de preuve - Un large éventail de sources d'information et de résultats d'investigation qui, dans leur ensemble, permettent d'étayer ou de contredire une hypothèse d'investigation. Les éléments preuves directs établissent immédiatement le fait principal tandis que les éléments de preuves indirects établissent des faits à partir desquels le fait principal peut être déduit.

term-fairuse

Usage acceptable - Terme juridique qui régit la mesure dans laquelle les documents protégés par le droit d'auteur peuvent être republiés par des tiers.

term-fieldresearch

Recherche sur le terrain - Recherche et collecte d'éléments de preuves en investigation qui ont lieu ailleurs que devant l'ordinateur et au domicile de l'investigatrice ou de l'investigateur. Il s'agit notamment de recherches dans des environnements naturels, d'entretiens sur place, de recherches dans des archives, etc.

term-hypothesis

Hypothèse - Une supposition ou une explication proposée sur la base de preuves limitées comme point de départ pour une enquête plus approfondie (voir : https://www.lexico.com/definition/hypothesis.)

term-metadata

Metadonnées - Informations qui décrivent les propriétés d'un fichier, qu'il s'agisse d'une image, d'un document, d'un enregistrement sonore, d'une carte géographique, etc. Par exemple, le contenu d'une image est constitué des éléments visibles, tandis que la date à laquelle l'image a été prise, le lieu et le dispositif sur lequel elle a été prise sont appelés des métadonnées.

term-source

Source - Publication, document ou personne qui fournit des informations pertinentes pour l'enquête ou l'hypothèse.